Il arrive à l’occasion qu’une nouvelle œuvre reflète si bien un moment particulier de l’histoire qu’elle semble avoir toujours fait partie de notre conscience culturelle.
C’est le cas de la comédie musicale Come From Away, qui relate ce qui s’est passé lorsque 38 avions transportant des milliers de passagers se sont retrouvés bloqués dans la petite ville de Gander, à Terre-Neuve, après la tragédie du 11 Septembre. Une affaire de courage, de générosité et de chaleur humaine qui se déroule dans un tourbillon de mélodies entraînantes et de jeux de mots percutants.
Multi-primé et loué par la critique dans le monde entier, Come From Away a rapporté des millions de dollars et est devenu le spectacle canadien qui a tenu le plus longtemps l’affiche à Broadway. C’est un tel mastodonte qu’il semble avoir été conçu tel quel, mais ce n’est pas comme ça que ça s’est passé – et ses créateurs seront les premiers à le dire.
« On a parfois l’impression que le talent des artistes les amène à créer une œuvre à partir de rien et que celle-ci se hisse immédiatement au sommet, explique David Hein, qui a coécrit Come From Away avec sa partenaire, Irene Sankoff. Ce n’est pas le cas. Une œuvre se crée dans un milieu – et en étant conscient qu’il faut de l’aide pour créer quelque chose qui dépasse ce que nous aurions pu créer par nous-mêmes. » L’aide en question peut prendre de multiples formes et, pour Sankoff et Hein, elle comprend le financement public des arts.
« Je me souviens qu’en recevant ces subventions, je me suis senti accueilli et épaulé »
L’histoire de Come From Away débute en 2011, lorsque Sankoff et Hein ont reçu une subvention du Conseil des arts du Canada pour se rendre à Gander (Terre-Neuve) à l’occasion du 10e anniversaire des attentats du 11 Septembre. Ils y sont allés pour interviewer les habitants de la ville qui avaient accueilli ces visiteurs inattendus – appelés come from away (« venus d’ailleurs ») dans le parler local. Comme le rappelle David Hein : « Ce ne serait pas faux de dire que, sans la subvention, nous n’aurions pas pu faire ce déplacement et que le spectacle n’aurait pas vu le jour. Nous devons donc cette réussite au soutien que nous avons reçu au départ, parce qu’il nous a permis d’enquêter sur cette histoire bien de chez nous. »
L’étape suivante consistait à décortiquer les interviews et à commencer à façonner un récit. C’est alors que le duo a fait une demande au Conseil des arts de l’Ontario (CAO) et a reçu deux subventions totalisant 2 500 $ du programme Theatre Creators Reserve (appelé maintenant Recommender Grants for Theatre Creators).
« Nous avons utilisé les subventions du Conseil des arts de l’Ontario pour prendre le temps de créer la pièce, explique Irene Sankoff. Quand on a un emploi de jour qui vous occupe de 8 à 18 heures, ce n’est pas toujours facile de trouver le temps et l’énergie d’écrire et de composer une fois rentrés à la maison. Si nous voulions respecter les délais, il nous fallait consacrer nos journées à l’écriture. Pouvoir se concentrer sur l’écriture pendant des journées entières a été extrêmement important. »
Le programme de recommandataires de théâtre du CAO est unique en son genre : les demandes sont lues et évaluées par des compagnies de théâtre de l’Ontario, ce qui les aide à découvrir de nouveaux dramaturges et à établir des liens avec eux.
David Hein se souvient de l’importance de ce programme pour lui : « Non seulement il s’agissait de subventions gouvernementales d’aide aux arts, mais de subventions recommandées par le milieu artistique de l’Ontario. Nous ne connaissions pas grand monde. Je me souviens qu’en recevant ces subventions, je me suis senti accueilli et épaulé. Lorsque vous débutez, ça compte vraiment quand d’autres professionnels et d’autres artistes vous disent : “Vous êtes sur la bonne voie. Continuez.” »
Le saviez-vous? Statistique Canada et le Conference Board du Canada reconnaissent tous deux que les créateurs (artistes indépendants, écrivains, artistes de la scène) et les producteurs (compagnies de théâtre, festivals de musique, maisons d’édition) sont les maillons essentiels de la « chaîne de création » à l’origine des retombées économiques du secteur. Autrement dit, il n’y aurait pas d’industries culturelles sans les arts.
Sources : Cadre conceptuel pour les statistiques de la culture 2011, Statistique Canada, 2011. Valoriser notre culture: mesurer et comprendre l’économie créative du Canada, Conference Board du Canada, août 2008.
D’un atelier à Broadway – et au-delà
Sankoff et Hein ont présenté l’œuvre en atelier dans le cadre du Projet de théâtre musical canadien du Collège Sheridan (Oakville, Ontario) et du Festival de nouvelles comédies musicales chapeauté par l’opéra Goodspeed (East Haddam, Connecticut). Les années suivantes, Come From Away a commencé à se produire sur des scènes de plus en plus grandes : celles du Théâtre La Jolla (San Diego, Californie), du Théâtre de répertoire de Seattle (Seattle, Washington), du Théâtre de Ford (Washington, D.C.), du Théâtre Royal Alexandra (Toronto, Ontario) et du Festival de Banff.
Puis, en 2017, Come From Away a été produite à Broadway… et le spectacle a fait salle comble dès ses débuts. En 2017, Come From Away a été mis en candidature pour 7 prix Tony (décrochant finalement le prix de la meilleure réalisation d’une comédie musicale) et a maintenant rapporté près de 175 millions de dollars à New York seulement. Depuis, Come From Away a fait une tournée en Amérique du Nord, a fait ses débuts dans le West End à Londres et, plus récemment, a été présenté en Australie, où il a été acclamé par la critique.
Sankoff et Hein n’en reviennent toujours pas de l’ampleur du phénomène Come From Away. « Nous sommes constamment étonnés par le nombre de personnes qui travaillent pour le spectacle à New York, à Toronto et dans le monde entier », indique David Hein. Chaque production engage ses propres acteurs, musiciens, décorateurs, costumiers et techniciens – sans parler du personnel affecté à la billetterie et l’administration.
Il s’agit là des emplois directs générés par le spectacle, mais l’impact économique de Come From Away ne s’arrête pas là. Et David Hein de souligner : « On se pose toujours la question des avantages qui découlent de l’investissement dans les arts. Mais il suffit de regarder le spectacle qui se déroule à Toronto pour se rendre compte de ses retombées sur les restaurants locaux, les commerces locaux, les entreprises locales. Tout la ville en retire des bénéfices considérables – de multiples, multiples et multiples bénéfices. Investir dans les arts est une décision commerciale judicieuse. C’est évident qu’il faut investir dans les arts. »
Le saviez-vous? Les arts et la culture en Ontario rapportent directement 26,8 milliards de dollars par an à l’économie de la province, soit 3,4 % du PIB de l’Ontario. Il y a plus de 277 430 emplois liés à la culture en Ontario, soit 3,7 % du nombre total d’emplois dans la province.
Source : Indicateurs provinciaux et territoriaux de la culture, 2018 (perspective du produit), Statistique Canada, octobre 2020.
Ce qui attend Come From Away – et le théâtre musical canadien
La prochaine grande étape pour Come From Away consiste en une version filmée de la production de Broadway, dont la première est programmée sur Apple TV+ pour coïncider avec le 20e anniversaire des attentats du 11 Septembre. Une adaptation cinématographique est également en préparation – avec de nouveaux récits de Gander, précisent Sankoff et Hein. La comédie musicale jouée en direct est censée reprendre le 21 septembre 2021 à Broadway et en décembre 2021 à Toronto.
Et ensuite, qu’est-ce qui attend le duo? Ce qui les passionne particulièrement, ce sont les idées et les innovations dans le monde du théâtre musical canadien.
« Nous avons grandi en allant au théâtre et en regardant les artistes de l’Ontario, explique Hein. Come From Away ne découle pas seulement de l’aide accordée aux artistes, mais aussi de l’art qui nous entoure et que nous regardons. Nous marchons dans les pas des géants qui nous ont précédés et avec une longue tradition de soutien aux arts en Ontario, soutien qui a aidé d’autres artistes à créer des œuvres, œuvres qui inspirent à leur tour la création d’autres œuvres. »
« Ce que j’espère, c’est que Come From Away permettra de mettre en scène d’autres histoires canadiennes, de monter d’autres comédies musicales canadiennes et d’inspirer d’autres œuvres canadiennes. Pour nous, ce serait la moindre des choses. »