Lorsque Jael Richardson participe à des manifestations littéraires, elle prend note à la fois de ceux qui sont invités à prendre la parole et des sujets sur lesquels on leur demande de s’exprimer. Auteure de romans et d’œuvres non romanesques domiciliée à Brampton, elle explique que, pendant de nombreuses années, « les rencontres qui accueillaient des personnes de couleur avaient tendance à porter sur la race et la culture ».
« J’ai commencé dernièrement à constater les problèmes qui se produisent lorsque les membres de la diversité sont positionnés comme spécialistes de la diversité et non comme spécialistes de l’écriture, poursuit-elle. Cela rabaisse en quelque sorte la façon dont on les perçoit comme écrivains. »
C’est en partie ce qui a conduit Mme Richardson à fonder en 2015 le Festival de la diversité littéraire connu sous le sigle de FOLD (pour Festival of Literary Diversity), dont elle est aussi la directrice artistique. Chaque année, en mai, le festival réunit des auteurs du Canada entier qui représentent un large éventail d’âges, de races, de cultures, de fois, de capacités et de genres. « C’est un endroit privilégié, où nous célébrons des voix que nous n’avons pas assez entendues par le passé », affirme Jael Richardson.
Les mordus du livre font bouger Brampton, et bien plus
Le festival se déroule depuis ses débuts au centre-ville de Brampton, banlieue dont la population est l’une des plus diversifiées du Canada. « C’est une ville où il y a beaucoup de nouveaux arrivants, souligne Mme Richardson, beaucoup de gens issus de cultures, de milieux, d’horizons et d’endroits différents, venus célébrer les histoires dont ils sont porteurs. »
Jael Richardson a choisi délibérément de tenir le festival à Brampton. Elle s’est rendu compte de la nécessité de présenter une programmation littéraire de qualité à l’échelle locale – et pas seulement dans les endroits où les événements littéraires ont habituellement lieu, comme le centre-ville de Toronto, à 45 minutes de route. « Il est important de reconnaître que ceux qui vivent dans des villes et des espaces marginalisés méritent également l’attention, le soutien et la visite de grands auteurs », explique-t-elle.
On s’est vite aperçu que le festival – qui, en 2018, était fréquenté par plus de 900 invités par an et plus de 50 auteurs et professionnels du secteur – comblait d’aise les habitants de Brampton. La ville a aussi bénéficié de FOLD a plusieurs points de vue : au-delà de l’effervescence et du vécu de l’événement lui-même, le festival a généré 150 000 dollars de chiffre d’affaires pour les entreprises locales au cours de ses trois premières années seulement.
Le saviez-vous? Les arts stimulent les communautés ontariennes et favorisent le développement économique local. 88 % des Ontariens affirment que les activités artistiques et culturelles sont importantes pour le bien-être économique d’une communauté.
Source : Les arts et le patrimoine : sondage sur l’accès et la disponibilité 2016-2017, Groupe de recherche Environics, mars 2017.
Mme Richardson fait également un parallèle intéressant entre le public des banlieues et les écrivains de la diversité : tous deux sont sous-estimés de la même (et injuste) manière. « C’est une attitude assez courante à l’égard des auteurs issus de communautés marginalisées ou qui écrivent dans des genres différents : bien souvent on les sous-évalue et les considère comme “inférieurs”. Et je pense vraiment que le fait d’organiser le festival à Brampton – et de voir la réaction des gens au fait qu’il se déroule à Brampton – nous rappelle ce qui se passe lorsque l’on néglige des lieux, des personnes, des espaces qui méritent vraiment d’être vus et célébrés. »
FOLD a lancé en 2019 un deuxième festival, celui-ci consacré à la littérature jeunesse et aux conteurs de la diversité, qui s’accompagne tout au long de l’année d’événements destinés aux groupes scolaires. Et aujourd’hui, des enseignants expliquent directement à Jael Richardson pourquoi l’expérience est si marquante pour les jeunes : « Les élèves voient des écrivains qu’ils ne connaissaient pas raconter des histoires – familières ou pas – qui les touchent profondément. »
L’importance du soutien de démarrage
Le Conseil des arts de l’Ontario (CAO), qui a subventionné FOLD dès ses débuts, a joué un rôle déterminant pour aider l’organisme à passer du germe d’une idée au festival littéraire à vocation communautaire qu’il est devenu. Et Mme Richardson de préciser : « Le CAO a été le premier à nous accorder une subvention et nous a dit : “Vous en êtes capables. Vous y arriverez.” Ça a beaucoup compté pour nous. »
Jael Richardson est reconnaissante d’avoir pu bénéficier dès le départ des conseils du CAO. « Avant même de soumettre notre première demande, nous avons eu une réunion personnelle qui nous a donné un aperçu vraiment complet du processus de subvention […]. Je ne peux pas vous dire à quel point ça aide quand vous arrivez sans rien. »
« Pour nous, il s’agit de la meilleure expérience de demande de subvention en tant qu’organisme débutant, expérience qui nous a permis de nous développer progressivement, et le CAO nous a clairement expliqué la façon d’y parvenir. Grâce à ces connaissances, FOLD contribue à établir les bases d’autres initiatives culturelles à Brampton. Nous avons pu utiliser notre expérience [avec le CAO] pour aider la Ville à mettre au point elle aussi un système semblable. »
Le saviez-vous? 88 % d’Ontariens sont d’avis que la participation à des activités artistiques construit un sentiment d’appartenance à sa communauté.
Source : Impressions de l’impact des arts sur la qualité de vie et le bien-être en Ontario : résultats d’un sondage du Conseil des arts de l’Ontario, rapport préparé par Nanos Research pour le Conseil des arts de l’Ontario, mars 2017.
FOLD fait résonner les voix de Brampton comme celles des écrivains et des lecteurs de la diversité, souligne Mme Richardson. « La diversité demande beaucoup plus d’efforts, mais donne toujours de meilleurs résultats et permet toujours – toujours, toujours, toujours – d’enrichir le dialogue. »